Voyage de Sun Wukong en Vendée
Lettres de voyage vers l’extrême Ouest.
Blick « Le Blog du Loriot » n° 03
Extrait du « Nouveau voyage des Pèlerins vers l’extrême Ouest »
Mon Cher Loriot,
Je ne t’apprendrais rien en te disant que je suis né d’un œuf de pierre, sur l’île des fleurs et des fruits. Les esprits célestes ont voulu changer ma destinée et celle de mes compagnons : désormais nous devons poursuivre notre voyage vers l’ouest dans un pays dont nous ignorons à peu près tout. En consultant la carte, j’ai de la peine à imaginer quel est ce pays de l’Extrême-Occident appelé Vendée. Notre destination aux Jardins qui portent ton nom me rassure : j’adore les jardins de façon monomaniaque. Ne t’inquiète pas pour autant , tu dois oublier mes excès de jeunesse commis notamment à ce fameux "Banquet des Pêches" auquel je n'étais pas convié, à mon grand dam. Je sais désormais que je ne dois plus cueillir à l’excès les pêches d’immortalité. J’ai appris à me contenir. La preuve, la bienveillante et miséricordieuse Boddhisattva Guanyin (觀音) et et le bon Moine Tripitaka (唐三藏) ont bien voulu me garder dans leurs nouvelles aventures vers l’Extrême-Ouest.
Tientsin, février 2024
Signé : Sun Wukong 孫悟空 "Enfant-Conscient-de-la-Vacuité"
Ps Si j’ai commis des excès avec des pêchers, plus précisémenet avec les fruits de ces arbres, ne vois rien de mal si je te dis que toi aussi tu n’hésites pas à ne laisser aux Jardiniers que des noyaux et des queues de cerises. J’ai beaucoup d’estime pour toi car, d'abord, tu es un merveilleux « chanteur arboricole », et puis tu as le sens de la famille, tout ce que tu fais c’est aussi pour nourrir tes petits, alors que moi j’angoissais de disparaître un jour, mais aussi pour toute la compagnie des singes de mon île, alors j’ai cueilli les pêches à l'excès, lors d'une importante Fête des Pêches pour que nous devions tous des Immortels !
Mon cher Loriot,
De l’extrême sud de la Corée le 22 février. Nous avons tous crié « hourra, hip hip hip hourra ! » lorsque le vaisseau Al Zubara est arrivé. Nous avons embarqué avec tous les égards dus à notre vénérable Moine Tripitaka. Le Capitaine nous a fait une fleur, nous sommes logés dans les étages supérieurs du bateau qui, tiens-toi bien, fait 400 m de long et 60 m de large. Zhu Bajie (豬八戒) couingne, il ne pense qu'à se goinfrer et à fonder une famille. Il espère que le voyage ne durera pas plus de 45 jours. Mais c’est mal parti. Comme le Rotterdam, Al Zubara retourne en Chine pour aller de port en port, avant de filer vers Singapour. Heureusement Guanyin nous exhorte de rester calme tandis que Tripitaka médite « à la limite de la pensée ».
Je viens d’apprendre de la bouche du pilote du vaisseau que le Capitaine s’appelle « Kurt von Strass ». C’est un personnage étonnant, marié à une Comtesse de Hong-Kong qui passe son temps à observer les oiseaux du monde entier et à les dessiner. Comme Kurt elle parle le mandarin, le français, l’allemand et l’anglais. Tu ne seras pas étonné si Kurt nous a invités, pour ne pas trouver le temps trop long, à apprendre le français mais avec un léger accent allemand. Nous avons un cours le matin et un cours l'après midi. Entre temps le capitaine nous passe des cassettes distrayantes en français, "Tintin et le Lotus Bleu", "Les 3 petits cochons", "Le petit chaperon rouge"... En soirée, nous sommes invités de temps en temps à un concert. Hier au soir, nous avons eu la surprise d'entendre la Comtesse chanter à tue-tête et en français. Zu Bajie était aux anges lorqu'il a cru entendre "La truie vagabonde". Il fut déçu lorsque le Capitaine, avec diplomatie, lui fit comprendre qu'il était question de truite et non de truie.
Port de Buzan en Corée
Signé : Sun Wukong.
PS Nous avons tous hâte de te rencontrer. Alors nous avons demandé aux dieux vivant entre ciel et terre, aux diseurs de bonne aventure, aux chamans et autres quimboiseurs où tu pouvais loger en ce moment. Parce que lorsque tu prends ta plume pour nous écrire, tu ne dis rien sur ton pays d’origine. Tu es un vrai cachotier. Tous les oracles nous disent où tu niches (manière de dire, car le Capitaine, d’une culture immense comme tous les océans, nous a dit que tu allais en Europe pour « faire l’amour » selon l’expression de baron Buffon !). Tout le monde dit un peu près la même chose , tu vivrais la fin de l'été, l'automne et l'hiver notamment au Soudan. Dis-nous si c’est vrai. Parce que nous allons prochainement passer non loin de cette contrée. Le Capitaine est aussi très enjôleur : pour nous flatter et nous rendre patients, il nous a dit que lorsque nous passerons Singapour, nous serons les seuls Pèlerins chinois à avoir été reçus dans les 7 plus grands ports du monde ! J'imagine, mon cher Loriot, que tu es bien au-dessus de toutes ces considérations.
Mon Cher Loriot,
Début mars, l’optimisme est de rigueur. Après (encore) plusieurs arrêts auprès de plusieurs installations portuaires en mer de Chine (Macau, Hong Kong…), nous avons définitivement dépassé Formose. « Un air nouveau qui nous vient de là-bas » s’est mis à chanter Zhu Bajie en chinois. Effectivement le 11 mars nous devons arriver à Singapour. Comme d’habitude Sablon (c'est son nom en français) nommé en Chine Sha Wujing (沙和尚) ne dit pas grand-chose. Toutefois, avec de la patience nous serons tous récompensés nous serine-t-il. Nous l'apprécions dans l'équipe pour sa recherche permanente de la perfection.
Singapour le
signé Sun Wukong dit "Grand Saint Egal du Ciel"
PS Avant de t’envoyer ce message, il faut que je te dise l’aventure qui nous est arrivée à Singapour. Nous avons demandé au capitaine, bellâtre à la chevelure absalonienne et grande barbe argentée, si l’on pouvait avoir quelques heures de permission pour visiter le fameux Jardin botanique de Singapour. Avec son regard perçant (petit détail il a une tête de chien tibétain avec des yeux d'épervier !) : « Si vous ne revenez pas à l’heure on partira sans vous . Alors ne perdez pas de temps ! ce jardin botanique est à 30 km d’ici ».
Nous sommes vraiment des amateurs de jardins, comme toi. Nous nous sommes vraiment régalés… sauf qu’au moment de repartir rejoindre Al Zubara nous avons perdu Zhu Bajie. C’est Sablon qui l’ a retrouvé et ramené à bord manu militari ce sacré cochon. Il s’est souvenu qu’il était resté quelques instants à discuter avec un vieux Chinois venu apporter quelques offrandes sur un petit autel dédié à Bouddha. Quand la belle équipe est revenue à l’autel, le vieux Chinois avait disparu mais Zhu Bajie était en train de se goinfrer en dévorant les offrandes de bananes, de gâteaux fourrés et autres gâteries abandonnées par les visiteurs. « Pardon je m’excuse, proféra le cochon, mais tout ça c’est de la nourriture perdue, et comme je ne suis pas un Parfait Immortel d’après ce que l’on m’a dit, j’ai le droit de manger les restes des offrandes, telle est ma destinée ».Pour la défense de Su Bajie je reconnais que notre « nettoyeur d’autel » ne mange pas de cochonnaille !
Ton ami Sun Wukong
Mon cher Loriot,
Lorsque nous avons quitté Singapour, Zhu Bajie s’est plaint ne pas manger à sa faim à bord. Puis il a fait un véritable esclandre lorsqu’il a vu sur la carte du capitaine qu’ Al Zubara ne passerait pas par le Canal de Suez. En effet, ce personnage haut en couleurs pensait qu’il allait passer de la Mer jaune à la Mer rouge, en douce, mine de rien ! Non, direction Cap de Bonne Espérance. Zhu bajie : « tu parles d’une Bonne espérance on doit se rallonger d’une éternité ». C’est le Moine qui l’a calmé en lui expliquant très simplement que c’était la guerre en Israël… et qu’il était prudent de ne pas passer par le canal de Suez. Il lui tint un peu ce langage : « Comprends, aimable pèlerin que le meilleur chemin dans la vie ce n’est pas forcément le plus court ». En étant patient, il est possible d’arriver à ses fins. Passé le Cap de Bonne Espérance, le moral est revenu. Kurt von Strass a lu à ce moment-là, les aventures de Vasco de Gama. Zhu Bajie nous a fait honte en ronflant comme jamais. Tripitaka lui a susurré à l’oreille, « ne t’inquiète pas nous tenons le bon bout ». Toute la belle équipe a bien rigolé lorsqu’il a dit en se réveillant dans un français approximatif : « je suis fou de joyeux » dans la perspective de remonter la corne de l’Afrique « à toute vapeur ».
En virant le Cap de Bonne Espérance,
Signé Sun Wukong dit « conscient de la vacuité ».
Ps. Finalement je comprends le désarroi de Zhu Bajie lorsqu’il a appris, en quittant Singapour, que nous ne passerions pas par le canal de Suez, il voulait peut-être s’approcher du passage habituel des oiseaux migrateurs. En effet, hirondelles et loriots de ton espèce passent non loin pour revenir en Europe. Subtil notre cochon anthropomorphe, n'est-ce-pas !
Cher Loriot,
Nous avons bien pensé à toi, en passant par les îles Canaries ! Le moral est au beau fixe. Nous prenons la direction de Tanger. Puis direction Southampton et enfin Le Havre. Le capitaine Kurt von Strass nous a dit qu’il ne pourrait pas s’arrêter en cours de route à hauteur des Sables d’Olonne. Notre vaisseau est trop important . Si tout va bien, nous arriverons le 22 avril, c’est drôle cela concorde parfaitement avec le jour habituel de ton arrivée en Vendée, aux jardins qui portent ton nom .
Nous sommes vraiment impatients d’entendre ton chant mélodieux pour t’entrevoir dans la canopée.
A hauteur du Sénégal,
ton Sun Wukong et tous mes fidèles amis.
PS Sais-tu qu’en Chine il y a plusieurs variétés de loriots, mais comme toi ils sont tous fructivores et insectivores arboricoles. Ils peuvent même manger des petits crustacés en cas. Le Capitaine nous a fait écouter ton chant et celui d' Oriolus Sinensis sur sa tablette magique. Leurs chants se ressemblent. Ils ont de nombreuses variations tonales. Lors de notre « Voyage vers l’Ouest » nous ne savions pas que c’est ton frère chinois qui tioulait aussi joliment avec des "doo-dlee-oo", "ku-i-oo", "kwia-lu" ou "tu-u-liu". Qui imitait le chat qui miaule "meee-aoou". Qui imitait les étourneaux ou autres congénères avec un "pee-yaaaaoouw" suivi d’un "kee-aaaoouw". Qui changeait de ton lorsque les petits sortent du nid suspendu, avec des "kyerrr" retenus par l’inquiétude de la femelle très maternelle répondant aux encouragements prudents du mâle fier de ses petiots .…
Mon Cher Loriot.
Loriot à capuchon noir - Porcelaine de Limoges Bernardaud dénommée Assiette creuse à aile de Loriot de Chine.Le 22 avril, pile poil, nous sommes arrivés au Havre. Quel bonheur ! Nous avons eu l’honneur de l’échevin de la ville. Il a mis les petits plats dans les grands . Lorsque nous sommes arrivés à l'Auberge de la Tête-Noire, Kurt nous a réservé effectivement une bonne surprise : nous avons eu droit à un couvert royal. Sais-tu que les assiettes disposées sur la table de réception te représentaient à la manière des gravures de Buffon dans son Histoire Naturelle ? Mais là, on y perd complètement notre chinois ancien. Kurt nous avait dit que les loriots d’Europe avait une tête très jaune. Alors, cette tête noire dans le creux de nos assiettes nous intrigue car elle semble représenter un loriot de Chine ! Regarde, il ne porte pas un bonnet jaune mais un bonnet noir !
Pour la petite histoire Zhu Bajie nous a fait encore honte. Après s'être goinfré en demandant sans cesse "Du rab, du rabe, du rabiot !" à la fin de la réception il s'est mis à lécher toutes les assiettes royales. Peu importe le décor des fonds d' assiette : loriot, martin-pêcheur, verdier, canari… tout y est passé. J'ai appris au Havre cette belle expression "Pique-assiette" qu'un serveur a prononcé en voyant Porcet à l'oeuvre. Ce pauvre imbécile a de la peine à faire la différence entre un hôtel de ville et un autel d’offrandes. Pourtant Zhu Bajie a de l'oreille ! A son corps défendant, quand on apprend le français ce n'est pas facile de faire la nuance entre "hôtel" et "autel". Je suis injuste cela se prononce de la même manière.
Vraiment pressé de te rencontrer pour voir ta tête quand on va débarquer avec toute l’équipe. Réserve nous tes meilleures vocalises dont tu as le secret pour nous accueillir chez toi. J’arrive vite, ta femelle pourra parachever son nid douillet avec quelques poils prélevés sur mon cou, je te promets, et la portée sera pleine d’espérance.
Le Havre le 23 avril,
signé Ton fidèle ami, Sun Wukong, dit parfois "Singe-de-pierre".
P.S. Nous avons été très émus de devoir quitter le Capitaine Kurt von Strass. On ne pourra oublier sa frimousse très particulière bien différente de celle du Capitaine Haddock. En fait on dirait "la tête un chien tibétain avec un regard d'épervier" !. Et quel puits de science je le répète : quand tu penses qu’il a comparé l’édile du Havre à Sima Guang ! et soutenu que la gravure du Loriot à « Cap Noir » reproduite au fond de l’assiette des invités a probablement été rapportée à Louis XV dans la caisse d’ un missionnaire en poste à Péking au XVIIIe siècle. Alors là je dis à Kurt : « Chapeau ! » Puis, tout s’est passé très vite. En guise d’ au revoir, le Capitaine a demandé à un de ses mousses de faire une photo avec notre groupe. Je te l'enverrai; Au centre, Kurt et son hôte. Tu verras combien Zhu Bajie est hilare, alors que nous étions tristes. Quel imbécile, Il ne cessait de répéter « Merci et salut Capitaine Kurt von Strass, grâce à vous nous sommes arrivés à bon port !».
Ah ! j'oubliais de te dire, lors de la cérémonie avec l'ancien premier ministre, j'ai eu l'idée de mettre de l'ambiance en lui proposant de jouer à "Je te tiens, tu me tiens par la barbichette..." A ce moment Guanyin m'a lancé un regard pétrifiant. J'ai ressenti immédiatement une très vive douleur à la tête : elle m'a menacé de m'affubler à nouveau, pour 100 ans, d'un cercle de constriction. Puis, gentillement elle a fait un geste comme pour désserrer l'anneau magique en me disant: "Selon les préceptes de Confucius, chacun doit rester à sa place. Imagine, au XIe siècle, chez les Song du Nord, cet honorable mandarin aurait porté au moins 7 plumes à sa ceinture...ce n'est pas rien". Heureusement ma gaffe n'a pas eu de suite. Au fond maintenant que je suis au pays le plus à l'extrême ouest je ne dois abuser de mes pouvoirs magiques dont celui de ma pilosité sauf cas exceptionnel.
Mon Cher Loriot.
Le 25 avril, Toujours au Havre. Nous sommes consignés 7 jours pour des raisons sanitaires sur un quai rempli de grues, avant de partir pour la Vendée. On nous dit qu'il y a plein de papiers à remplir, à tamponner, des espaces à créer, des portails à ouvrir avec des mots magiques à découvrir, à puis répéter, des droits de douane à payer... Pendant ce temps là, nous nous occupons comme nous pouvons. On chante sous la pluie, Tripitaka se réfugie dans la méditation en psalmodiant des sutras, Zhu bajie implore les visiteurs de lui faire des offrandes, mais toujours sans charcuterie. Sablon, notre porteur est plus pratique, il se demande comment avec ces pluies incessantes l'équipe va pouvoir débarquer aux Jardins du Loriot sans s'ensabler ou s'embourber. Heureusement il sait comment s'y prendre. Il était Grand Maréchal des Roseaux et s'en sort très bien dans les marécages.
Pour rester sur une note optimiste, toujours à propos de plume, je t'envoie texto une chansonnette. Sans vouloir t'offenser, je l'ai légèrement transformée pour toi : "Au clair de la lune, mon ami Loriot, prête moi ta plume, pour écrire un mot" Tout ça pour te demanded de m'offrir une seule plume de ton beau ramage, en échange de 3 poils pris dans mon cou.
Une bonne nouvelle : nous arrivons le 6 mai aux Jardins du Loriot. Nous répétons ensemble : "On the road, again, again" et "I'm singing in the rain...". Nous serons tous bottés car "à-ce-qu'il-paraîtrait" il n'y a là-bas "que d'eau, que d'eau !" selon le célèbre mot du Céleste Maréchal MacMahon. Nous restons résolument optimistes car Zhu essaie de nous persuader que nous ne verrrons "que la surface de l'eau". Tu noteras que Zhu Bajie, que nous aimons tant, veut garder ses pattes de cochon car elles sont insubmersibles, il ne veut pas être pris pour "Le chat botté" ! Si toi l'ami loriot tu es assez malin pour miauler je ne suis pas sûr que le cochon puisse faire de même ! Dernière nouvelle : le cheval de Tripitaka, Lonwang sanjun 龍王三君 « Troisième Fils du Roi-Dragon », devenu 白龍馬, le « Cheval-Dragon Blanc », s'est enfin fait entendre, pour la première fois depuis près de 3 mois, en poussant un grand hennissement (bien sûr, en lisant ma lettre à haute voix à ta femelle blottie dans son nid douillé, ne fais pas la liaison avec le H aspiré !!!).
Sun Wukong,
on m'appelle parfois 马温 Bìmǎwēn, Doux assistant des chevaux.
Ton ami pour l'éternité.